
La véritable sécurité consiste à apprécier l’insécurité de la vie, car l’insécurité de la vie est ce qui menace la vie et la paix dans les villes et parce que les villes ne sont rien sans la sécurité à proprement parler.
La vie s’arrête net au bas de la ville et les entreprises commerciales sont forcées de plier bagage, parce qu’où règnent en maître les bandits armés, les activités économiques en sortent tout simplement et ce ne sont pas de simples mots, parce que la réalité saute aux yeux. Le bas de la ville -déserté- est bien mort et emporte dans son sillage des dizaines de vies humaines et celles des commerçants y compris, et ne parlons pas de la décapitalisation de certains qui ont vu leurs petites entreprises finir dans les flammes – à la faveur des manifestations – sur fond de violences aveugles et irraisonnées.
Les violences dans nos rues sont bien réelles et tuent bien plus que ce qu’il nous est donné de voir, parce que certaines victimes sont tout simplement tues dans la presse locale, parce que jugées sans importance. Qu’on se le dise: l’insécurité en Haïti devait être une source de préoccupations, tant elle endeuille les familles, mais c’est devenu banal jusqu’à ce qu’elle touche certaines personnes. Le concept de l’insécurité, faut-il le rappeler, commençait à prendre forme en Haïti, dans les années 90 avec l’éclosion des « zenglendo”. On soufflait le froid et le chaud, rien qu’en ayant eu imaginé qu’on pouvait être les prochaines proies de ces chevaliers de nuit.
L’insécurité était dans sa phase de gestation et faisait déjà beaucoup de victimes que l’on pleurait ou regrettait encore. Mais en 1998, sous la férule des leaders lavalassiens, elle s’était érigée en institution bien ancrée dans les bidonvilles et qui, dès lors, ont accouché de lame wouj, de lame ti manchèt, de lame dòmi nan bwa, de lame balewouze, de lame sèkèy et d’une kyrielle d’autres qui, aujourd’hui, embrigadent nos petits enfants pour les transformer en tueurs impitoyables.
Aujourd’hui, c’est devenu un business que la multiplication des stations de motocyclettes couve, cache, favorise et engraisse. Je ne parlerai pas de la participation de nos fameux officiels et membres du secteur privé des affaires dans la prolifération des gangs armés, car, ça fera l’objet d’un autre débat. Mais, toujours est-il que les policiers haïtiens et citoyens possédant ou qui reviennent des banques commerciales sont les victimes de prédilection de ces bandits dont les crimes ne choquent plus, n’émeuvent plus personne, comme si nous en étions immunisés et comme si nous nous retrouvions dans une espèce d’insensibilité morbide que les crimes de sang n’effraient plus et c’est ce qui, d’ailleurs complique les enquêtes, parce que bizarrement, il n’existe aucun témoin, pas même les marchands et marchandes qui sont pères et aussi mères de famille.
La sécurité de tout un chacun doit être la première obligation de l’Etat, mais comment y parvenir sans la participation citoyenne? Quand la politique se mêle de tout? Quand les officiels de l’Etat s’en servent à des fins individualistes, au point d’empêcher l’arrestation des bandits armés? Et comment y parvenir quand les membres de l’opposition politique font des bandits armés qui violent, qui tuent et qui kidnappent de gentils militants persécutés? La volonté politique seule ne suffit à déloger ou capturer ces gangs, il nous en faut davantage, comme le réveil brutal de la conscience collective et la reviviscence de la dimension citoyenne de l’homme politique haïtien préférant les crises interminables à la paix des rues.
Ce n‘est nullement un secret pour personne que l’insécurité est à son apogée aujourd’hui et que les bandits armés n’ont jamais aussi confiants et aussi présents dans nos rues, dans nos habitudes et dans nos vies. Pire, ils occupent beaucoup plus d’espaces qu’ils n’en avaient, il ya dix ans et se nourrissent surtout de la politique du chaos et des turbulences dont s’entichent André Michel, Youri Latortue, Nènèl Cassy et consorts. Il faut combattre les bandits armés avec vigueur, détermination et participation citoyenne, il faut combattre l’insécurité avec intelligence, bon sens et réalisme, parce que :“L’insécurité vient de la société elle-même : c’est elle qui produit de la violence, c’est donc sur elle qu’il faut agir,.” pour répéter Lionel Jospin.
KéDar, Décembre 2019